Un Beau Ténébreux
Inspiré du roman de Julien Gracq
Un Beau Ténébreux est une composition mouvante de signes graphiques. En manipulant les éléments, le narrateur fait émerger de nouvelles images, transforme les sens, à la manière d’un graphiste qui agence typographies, formats et couleurs pour construire un visuel. Il donne des clés de lecture et de narration du poème qui se joue, comme une traversée poétique et métaphorique de la pièce. L’ensemble de la scénographie joue de ce qui est montré, masqué, dévoilé, écrit ou suggéré. C’est une proposition de voyage de la réalité au rêve, de l’objet physique du livre aux images mentales qui découlent d’un jeu d’évocations.
La question spectaculaire, chez Louisa Cerclé, est atypique. C’est l’action d’une personne qui a formé son regard au travers des arts graphiques. C’est regarder la question du thème et de la narration depuis le camp des signes, et non pas, comme usuellement au théâtre, depuis le camp du sens et des intentions. Ici le spectacle est une composition de la scène entreprise à la manière d’une composition de la page. Et même plus, c’est une composition de narration à la marge, comme si l’on suivait le fil des notes de bas de page, plutôt que celui du récit. La linéarité n’est pas de mise. Si les éléments constitutifs du spectacle sont bien tirés, — avec un respect scrupuleux de leur nature —, du roman éponyme de Julien Gracq, ils n’en suivent pas l’enchainement narratif. Nous traversons plusieurs fois le roman, à travers ses signes, qui sont agencés dans une autre règle du jeu que celle de la récitation. L’histoire est libérée de son discours. Le spectacle ne vient pas illustrer l’oeuvre dont il s’émancipe, mais vient en proposer une autre expérience sensible. La présence de l’artiste, actionnant les objets sur la scène, ressemble à celle de la main d’un graphiste qui vient recomposer l’image sur la page. Les images choisies, comme une réminiscence de lecture personnelle, sont manipulées sous nos yeux, et recouvrent leur statut d’objet. Le regard du spectateur se voit proposer une grande liberté de rythme et de mouvement dans son attention aux choses. Un temps déconnecté, qui est plus naturel à la contemplation des oeuvres graphiques qu’à celle du théâtre. Parfois, lorsque nous lisons, nos yeux se détachent un moment du livre pour se poser à l’horizon, palper la couverture, la tranche, songer… Gaël Leveugle
Le tracé figurant le terrain est utilisé comme le point de départ de la composition de l’espace par les différents objets ; comme le graphiste utilise une grille pour mettre en page un livre ou une affiche.
La compagnie souhaite développer son travail de création hors des salles de théâtre pour aller à la rencontre de spectateur·ices dont les usages et les habitudes se situent en d’autres lieux, ceci afin de valoriser une pluralité d’expériences et de susciter des réceptions esthétiques singulières.
Cette déterritorialisation scénique, entendue comme le déplacement de la représentation hors de son milieu habituel vers un lieu différent à recontextualiser, permet d’actualiser le spectacle en le replaçant dans le réel. Le choix attentif du lieu de la représentation veille à ce qu’il soit un fil dans la tresse du spectacle, que son empreinte visuelle et imaginaire se déploie, fasse écho, ou contraste à ce qui se joue toujours dans une relation plus analogique que logique.
Par ce nouveau rapport de mise-au-réel, il est permis à celui-ci de s’enrichir, de s’accroître, de changer au contact avec ces nouveau·elles spectateur·ices, peu coutumier·es des théâtres, ayant en leur possession une attention différente.